AfAG, les nouveaux cancres du théâtre de rue

Thierry Voisin
Publié le 07/09/2018.

La joyeuse troupe d’Au fond à gauche joue “La Vraie Vie des pirates” aux Arènes de Montmartre. Retour sur le parcours d’un collectif de comédiens libres et singuliers. AfAG : drôle de nom pour une compagnie de théâtre. C'est l'abréviation d'Au fond à gauche. La place choisie par les cancres dans la salle de classe, peut-être aussi celle des comédiens de ce collectif, qui préfèrent aujourd'hui le devant de la scène. Bernard Martin, leur professeur de théâtre, les réunit dans une pièce en un acte d'Octave Mirbeau, L'Epidémie. Respectant à la lettre l'esprit de cet auteur, jugé « irrécupérable » par Jean-Paul Sartre, ils entreprennent de jouer dans les salles de délibérations des mairies. En pleine crise de la vache folle, les édiles se montrent réticents. Qu'importe ! Grégory Bron, stature imposante et barbe de hipster, décide alors d'écrire ses propres pièces, dans lesquelles il se réserve le rôle que personne ne lui donnera. Ses copains le suivent dans l'aventure : Jean-Baptiste Guintrand, qui jouerait bien Maldoror, mais que l'on ne cesse de comparer à Louis de Funès ; Benjamin Dubayle, qui ne désespère pas d'avoir un emploi de jeune premier ; Virginie Rodriguez, un rouleau compresseur de bonne humeur ; Elodie Bernardeau, la muse de l'auteur ; Vincent Dubos, à la fois comédien et indispensable régisseur.

Une aventure rocambolesque
Cette joyeuse équipe crée la première pièce de Grégory, Le monde n'est pas un magasin de pièces détachées. L'histoire de deux types qui ne font rien et qui deviennent gênés par le regard des autres. L'intérêt qu'on lui porte alors pousse la bande d'AfAg, qui manie aussi bien l'épée que le verbe, à jouer en alexandrins une bouillonnante comédie sociale de cape et d'épée, riche en imbroglios et en duels, La Botte de Dom Juan (2008). En dehors d'un lit, le plateau est vide. « Parce qu'on préfère que l'on regarde les comédiens plutôt que des décors, et qu'on ne cesse de bondir, tournoyer, pendant les combats. Et puis, comme on a l'ambition d'aller jouer partout et n'importe où, il faut pas s'encombrer. »

“Le talent, c'est l'audace d'être différent.”

Chose faite avec leur premier spectacle de rue, L'Histoire des Trois Mousquetaires racontée en une demi-heure, joué notamment aux festivals d'Aurillac, d'Avignon et de Sotteville-lès-Rouen (Viva Cité), mais aussi au château de Vincennes et au Panthéon. Rapière à la main, Grégory Bron et Benjamin Dubayle, racontent à deux et en une demi-heure l'aventure des célèbres Gascons. Le rythme vif du récit et des combats, joués au milieu du public, marquent à jamais l'identité et le succès de la compagnie parisienne, qui s'approprie un adage de Tchekhov : « Le talent, c'est l'audace d'être différent. » Et elle ne s'en prive pas ! Grégory et ses comparses sont talentueux et ils le prouvent encore avec La Vraie Vie des pirates. Depuis l'Antiquité, ces brigands ont une sale réputation. Ils sont la terreur des mers. Même les sardines en ont peur, prétend-on ! Ils sont surtout craints par les gens de bien et les tenants du pouvoir. Comme Hollywood fait n'importe quoi avec la vérité historique, les compères d'AfAg nous embarquent dans une aventure toujours aussi rocambolesque, aux trousses d'un certain Balthazar et de son équipage d'infortune. Que les amateurs d'action se rassurent, la compagnie n'a pas déposé les armes. De multiples combats pimentent le récit. « On est passé au sabre d'abordage, tout en restant dans la rue, au plus près des passants, pour raconter l'histoire de gens comme nous. Si on aimebien les pirates, c'est pas seulement parce qu'ils ont inventé la Sécurité sociale et la caisse de retraite, ni parce qu'ils n'aimaient pas les gens de palais, c'est surtout parce qu'ils ont inventé une autre façon de vivre, loin du joug des gouvernants. » Rien de plus naturel que de les retrouver aujourd'hui sur les hauteurs de Montmartre, la Commune libre de Paris.



FRANCE CULTURE

Aline Pailler

En août 2010, sur la place d’un petit village d’Auvergne, juste après la sieste, je découvre sur des tréteaux dressés le matin même, deux hommes en train de se livrer un combat d’épée. L’un est torse nu, l’autre porte la blouse blanche et large de D’Artagnan. Ils ont le sourire et pourtant ils bondissent, esquivent, attaquent comme si le duel avait un enjeu vital.
Je reste un moment à les regarder, ils sont beaux, concentrés : le spectacle est jubilatoire. Ce sont deux comédiens qui répètent, non qui s’entrainent.
Le soir je les retrouve dans « La Botte Secrète de Dom Juan ». Je découvre que le texte est aussi flamboyant et précis que leur art de l’épée. Les alexandrins revigorés par des rimes audacieuses, des références contemporaines à chaque coin de vers, nous content une histoire qui nous tient en haleine et à la fin de l’envoie on est touché !
Les enfants et adolescents présents sont aussi enthousiastes qu’à un concert de musique électro. Les vieux sont charmés, dérouillés dans leurs articulations et éveillés dans leur esprit somnolent. Bref, un spectacle tout public !
Plus tard je les retrouve dans « D'Artagnan Hors-la-Loi » et je décide de les inviter à nouveau dans mon émission sur France Culture car le spectacle me réjouis tout autant que le précédent ; et plus encore !
L’engagement du texte,
toujours en alexandrins, porte une thématique,
que dis-je un combat ! Salutaire.
S’indigner c’est bien, mais désobéir c’est mieux !
Le rire est décidément l’arme du peuple et devrait être la terreur des tyrans !









A l'origine était le début,
et le passé éclaire le présent

C'est une histoire qui trouve son origine dans les temps reculés, mais qui, au final, pourrait tout à fait trouver sa place dans le présent. C'est de la fiction mais qui résonne sans mal dans le réel. Un prince, des chevaliers-sorciers, un royaume... Tous les ingrédients nécessaires sont réunis pour faire de cette pièsce de théâtre, un récit épique. Sans oublier les combats d'épées. Mais ce n'est pas tout : A l'origine était le début, après il s'est mis à pleuvoir... c'est aussi de la magie. Des cascades. Des jeux de lumières colorés. Un décor surprenant. De l'humour. Beaucoup d'humour. Au delà de la forme, il y a aussi du fond, qui laisse deviner tant de discours sur une actualité qui nous concerne tous, de près ou de loin. Ce sont des mots qui font rire, souvent, mais qui font aussi étrangement écho à une actualité qui nous est proche. Des répliques dans lesquelles on se reconnait, après s'etre esclaffé. Une narration qui, en somme, ne trouve pas vraiment de frontières dans le temps. Et le public semble séduit. "Vraiment, ils sont très forts" atteste un homme lorsque les acteurs saluent.
août 2018




Les trois coups

Héros, vos papiers ! Après « la Botte secrète de Dom Juan », la compagnie A.F.A.G. (Au fond à gauche) revient à Avignon avec « D'Artagnan hors-la-loi », parodie foutraque et perfectionniste de l'inoxydable chef-d'ouvre. Je ne dirai qu'une chose : A.N.R.S.A.P. (À ne rater sous aucun prétexte) ! « D'artagnan hors-la-loi » Revoilà donc nos indomptables bretteurs, tant de la rapière que de la pensée, aux prises avec un nouveau classique. Cette fois les Trois Mousquetaires servent d'épine dorsale, et de souffre-douleur, à ces variations sur l'amitié, la vaillance et l'amour, face aux sombres machinations de Richelieu. Toujours soucieux de trouver des équivalences d'aujourd'hui à ces vieilles histoires, l'auteur Grégory Bron n'a pas résisté au plaisir de brocarder l'actuelle dérive sécuritaire, à travers les innombrables tracasseries policières dont sont victimes nos quatre héros. Face à un Louis XIII vain et mou (Serge Balu, tordant), le fourbe cardinal (Vincent Dubos, aux faux airs de Donald Sutherland), déclenche des salves de rires chaque fois qu'il ouvre la bouche, tant il est suavement retors. Son bureau-ministre, bourré de gadgets à la James Bond, est le frère jumeau de celui de l'Étroit Mousquetaire (1953), pastiche cinématographique de Max Linder. Mais, cette fois, ce sont des espionnes qui sortent d'un peu partout à la demande du ministre, interprétées par Virginie Rodriguez, qui disparaît par une trappe pour ressortir par une autre, composant chaque fois un nouveau personnage. L'effet est irrésistible. "Charlotte Rondelez, une Madame Bonacieux du tonnerre" On peine un peu à suivre l'affaire des ferrets de la reine, ne pouvant mettre un visage sur la Reine ni sur Buckingham, ce qui n'a aucune importance. La frimousse de Charlotte Rondelez nous en console largement. Cette chanteuse, danseuse, escrimeuse, acrobate émérite campe une Madame Bonacieux du tonnerre. La scène où elle se retrouve, en tant qu'arme, dans les bras de Benjamin Dubayle (d'Artagnan), qui se sert d'elle pour mettre en déroute deux affreux sbires du cardinal, est un morceau d'anthologie. Ce qui n'empêche nullement la demoiselle de chanter, aussitôt après, un flamenco sensationnel. Un cas. Comme d'habitude, combats et cascades se succèdent à un rythme effréné, avec une drôlerie et une invention qui en font de véritables numéros de cirque. L'idée aussi de ces capes, qui changent de couleur en un tournemain, et font passer les escrimeurs d'un côté ou de l'autre du bon droit, s'avère une trouvaille. Ce qui s'appelle retourner sa veste ! Mention spéciale, dans ce domaine, à Philippe Ivancic, Serge Balu et Vincent Dubos qui campent des flics du royaume plus vrai que nature. Une fois de plus, on reste confondu du talent des huit interprètes, qui n'ont pas plus tôt terminé une acrobatie qu'ils laissent là l'épée, prennent une guitare et entament un air. Des gens qui vraiment savent tout faire, et le font avec le sourire. Celui de l'intelligence et du coeur.
Olivier Pansieri
Les Trois Coups www.lestroiscoups.com

D'Artagnan hors-la-loi, de Grégory Bron Mise en scène : Grégory Bron Avec : Jean-Baptiste Guintrand, Grégory Bron, Benjamin Dubayle, Charlotte Rondelez, Vincent Dubos, Virginie Rodriguez, Philippe Ivancic, Serge Balu Costumes : Julia Bourlier Création des combats : Julien Hannebique Acrobaties réglées par Jérémy Mallard de la compagnie Méli-mélo Musique : Pierre Farago Espace Alya . 31 bis, rue Guillaume-Puy . 84000 Avignon Du 9 au 31 juillet 2011 à 16 h 15 (les jours impairs) Réservation : 04 90 27 38 23 www.espacealya.com Durée : 1 h 30 Les trois coups






La critique de la rédaction

« La botte secrète de Dom Juan » ne se raconte pas ! D’abord parce qu’une botte doit rester secrète et que toute personne qui la voit doit mourir sur le champ ! Ensuite parce que le spectacle possède ce que l’on appelle un coup de théâtre. Et que, foi de critique, ce dernier est très réussi ! Grégory Bron, l’auteur de cette pièce, revisite joyeusement le théâtre classique avec ce spectacle de cape et d’épée. C’est une intrigue amoureuse avec un jeune premier (Grégory Bron), une jeune première (Charlotte Rondelez), une soubrette (Claudia Fleissig), un méchant (Jean-Baptiste Guintrand), des seconds rôles (Benjamin Dubayle et Simon-Pierre Boireau) et un personnage mystérieux (Vincent Dubos). C’est écrit en alexandrins et certains vers méritent d’être dégustés. D’autres ne sont pas piqués des vers, comme « Une insulte, une menac’, même un truc un peu naze… ». On fait rimer fouille avec nouilles. Et comme répond un des gardes à l’autre qui s’exclame : « Mais pourquoi il dit ça ? – C’est pour pas êtr’vulgaire, et comm’ les rimes en ouille, c’est pas facile à faire ! » Il y a du théâtre dans le théâtre, ce qui implique de joyeuses libertés avec les codes. Cela a le dynamisme du théâtre de Tréteaux. On applaudit chaleureusement le travail de la compagnie Afag Théâtre, tant sa qualité est remarquable. Les adultes s’amusent, les adolescents « kiffent grave », les gamins s’esclaffent. Et ça fait un bien fou !
Marie-Céline Nivière
http://spectacles.premiere.fr/pariscope/Theatre/Salle-de-Spectacle/Spectacle/La-Botte-Secrete-De-Dom-Juan3/(affichage)/press